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Docteur Youssouf Maïga Moussa
20 juin 2016

TERRORISME : LE KAMIKAZE, un « homme sans dieu » ?

Ulysse arrivé dans le pays des morts (Hadès) interpelle Achille, l'ex grand guerrier de la guerre de Troie : _ « Pour toi, Achille, nul homme plus que toi ne fut ni ne sera heureux. Jadis, de ton vivant, nous t'honorions autant qu'un dieu, nous autres Grecs ; et maintenant ici, parmi les morts, tu règnes de nouveau : ne regrette donc  pas la vie ! »

_ Achille de répondre amèrement et de déplorer sa vie de guerrier : « Ne cherche pas à m'adoucir la mort, ô noble Ulysse ! J'aimerais mieux être sur terre domestique d'un paysan, fût-il sans patrimoine et presque sans ressources, que de régner ici parmi ces ombres consumées... » (Homère, Odyssée, chant XI, 480-490, trad. Philippe Jaccottet)

 Ceci pour dire que chez les anciens Grecs on ne trouve pas de modèles ou de méthodes Kamikazes. Les Grecs préfèrent l'affrontement physique, grandeur nature de la guerre, l'affrontement sur de grands champs de batailles, contrairement à nos sociétés modernes confrontées un peu partout à la guerre asymétrique liée au terrorisme djihadisme, nuisible en premier lieu pour les populations : la destruction par exemple du marché de Gao, pour le terrorisme : destruction de Mausolées des Saints, attaques de Musées à Tunis, des plages, des hôtels, etc. Or, la guerre ce n'est pas du cache-cache, de la guérilla, mais comme disait Car Von Clausewitz : « La collision de deux forces vives » dont le but final se résumerait ainsi : « Tant que je n'ai pas abattu l'adversaire je peux craindre qu'il m'abatte » (Car Von Clausewitz, De la guerre, trad. Denisse Naville).

Partant de ces considérations, on peut alors faire voir que le terme Kamikaze est plus spécifique aux avions-suicides des japonais lors de la seconde guerre mondiale. Aujourd'hui cette [opération suicide] est adoptée efficacement par le terrorisme islamiste. Si le but des Kamikazes japonais [donc politique, pour la Cause de l'Empire] était de faire couler les porte-avions américains, de provoquer un grand effroi chez l'ennemi et de tuer en masse ; pour les kamikazes djihadistes, la guerre est dirigée prioritairement contre les « croisés » (les infidèles), les juifs, les européens et aujourd'hui les Etats africains qu'ils considèrent comme de mauvais musulmans qui se sont écartés de l'Islam. Il fallait donc comme au Mali, châtier les populations en leur imposant la charia.

Il nous semble que lorsque le philosophe du Jardin (Epicure, 341-271 av. J.-C.) écrivait que « la mort n'est pas à craindre », cet aphorisme n'invitait pas aux opérations kamikazes, ni de se faire hara-kiri. Comprendre ainsi Epicure, c'est travestir sa pensée. Le philosophe Epicure était un sage très proche d'un éminent penseur et homme politique tel que Gandhi apôtre de la nonviolence). La philosophie d'Epicure à l'époque ciblait la doctrine des écoles adverses, en l'occurrence celle de l'Académie, les disciples de Platon. Epicure chahutait ses adversaires juste pour faire voir, contre les crédules, les superstitieux, qu'après la mort, il n'y a pas de jugement des âmes, c'est-à-dire toute cette représentation (fiction) fantasmatique et fantasmagorique construite par Platon. Pour Epicure, un Dieu qui va s'échiner à juger les âmes, devrait être un Dieu fort affairé. Dans l'optique d'Epicure, le Dieu en tant qu'il est « l'être bienheureux et incorruptible n'a pas lui-même de soucis et n'en cause pas à autrui ; de sorte qu'il n'est sujet ni à la colère ni à la bienveillance : car tout ce qui est tel est le propre d'un être faible » (Epicure, Lettre et maximes, maxime capitale 1, trad. Marcel Conche). Un tel dieu bienheureux ne peut pas vouloir que des individus guerroient pour sa gloire. Nous percevons bien à partir d'Epicure, et ce jusqu'à Blaise Pascal, que le suicide est un mal, sauf s'il est inévitable en cas de maladie incurable. Il faut être atteint de débilité mentale, ou fanatisé à l’extrême pour préférer la mort à la vie. Les épicuriens célèbrent l'instant, la vie de tous les jours.

D'un point de métaphysique, le suicide, en tant qu'il est un meurtre volontaire souille la Cité. C'est pourquoi les Grecs interdisaient le suicide. De surcroît pour le platonisme, l'âme est une propriété du Dieu, et cette âme est en mission sur terre pour apprendre des connaissances et préparer son ascension vers le monde Intelligible. C'est donc un devoir (sacré) pour chacun individu de bien s'occuper de sa vie et de son âme, et d'éviter les actions suicidaires, donc kamikazes au sens d’aujourd’hui. Platon va jusqu'à préférer les soins de l'âme au corps. De sorte que celui qui sait que l'âme est précieuse, et d'essence divine, ne peut pas s'aliéner ou se réifier juste pour accomplir des fins criminelles. D'où doublement les peines célestes qu’il encourra.

De ce point de vue, force est d'admettre que le « martyrat » (l'éloge d'être un martyr) est vain, car même dans l'Odyssée d'Homère ainsi que nous l'avons montré en exorde de nos propos, les héros regrettent leurs conduites, restent nostalgiques des bienfaits que procurent la vraie vie terrestre loin des batailles. Le héros Achille confesse à Ulysse son erreur d'être mort pour ne gagner in fine que l'obscurité de Hadès (la demeure des morts). L'exemple d'Achille est la preuve que la vie de Kamikaze, de martyr, etc., ne rapportent rien dans l'autre monde. Dieu ne reçoit pas les âmes impures, les âmes des meurtriers et autres criminels. Le Paradis, ne se donne pas par le meurtre d'innocents, par des assassinats, des prises d'otages, des attentats à la bombe, etc., mais au terme de bonnes actions. Dieu c'est entendu depuis le Nouveau Testament, est redevenu un Dieu d'Amour. Il ne cautionne plus des djihads et autres actes criminels. Chacun devait assumer ses actes dès ici-bas comme dirait Epicure, si d'aventure il existerait un jugement des âmes.

Pour plier cette réflexion, disons qu’il n'y a rien à craindre de la vie après la mort. Aussi Epicure exhorte-t-il les ignorants, les va-t-en guerre de déposer les armes et de revenir savourer les délices de l'amitié : « L'amitié mène sa ronde autour du monde habité, comme un héraut nous appelant tous à nous réveiller pour nous estimer bienheureux. » (Sentence 52, in Epicure, Lettre et maximes, trad. M. Conche). Au sens d'Epicure, les terroristes islamistes, ou djihadistes qui instrumentalisent des individus en les transformant en « bombes humaines », sont dans la fausse prénotion (prolepse) du Dieu. Par conséquent, leurs actions criminelles participent de l'ignorance au sens de l'Athénien des Lois de Platon : « Tous les méchants, à quoi que s'applique leur méchanceté, comme étant méchants sans le vouloir » (Lois, IX, 860d).  Il n'y a pas de mort glorieuse, tout est inanité. Pour nous, il est d'une claire évidence que tous ceux qui se proposent aux opérations suicides, kamikazes, qui se réifient en bombes vivantes pour tuer des humains, sont des « décadents » au sens de Nietzsche. Et au sens de Blaise Pascal, on serait tenté d'avancer que ce sont « des hommes sans dieux ».

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