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Docteur Youssouf Maïga Moussa
24 juin 2016

Les démocraties « militarisantes »

Y-a-il gémellité entre militarisme et démocratie?

Cette réflexion est partie de la lecture de l'excellent ouvrage de Thomas Mann (1875-1955), intitulé Considérations d'un apolitique. Thomas Mann fait partie de ces intellectuels Allemands qui fut inféodés [conservateurs] à la vraie notion politique de la « Nation allemande », contre la nouvelle autre forme de politique ou de la politisation, qu'est la démocratie. Ce fut l'échec de Bismarck en effet d'avoir voulu vaille que vaille appliquer la démocratie à la Nation allemande, comme une sorte de greffe d'organe contre-nature. Pourquoi cet acharnement de Thomas Mann contre la démocratie à son époque ?  Pour lui  la réponse est d'une claire évidence: « La démocratie, au sens et au goût occidentaux, est étrangère à notre pays, un élément transposé qui « n'existe que dans la presse » et ne pourra jamais s'intégrer à la vie allemande, ni devenir la vérité allemande » (Ibid., p. 236).

Considérations d'un apolitique fut à l'époque un véritable pamphlet du régime démocratique. Les idées politiques de Thomas Mann sont encore d'actualité, en l'occurrence sur cette grave problématique de l'immixtion des militaires dans les affaires politiques des démocraties africaines. D'apolitiques, les militaires sont devenus aujourd'hui en Afrique selon les circonstances : soit des Deus ex machina, soit des sauveurs (soter), et dans des cas malheureux des assassins, des meurtriers, des génocidaires recherchés par le TPI (tribunal pénal international).

Si Otto Von Bismarck (1815-1898) est parvenu à fonder l'empire allemand par son action politique toute en remplissant des fonctions militaires. Cette expérience politique est-elle transposable aujourd'hui dans les démocraties militarisantes ? Dans une question que nous nous sommes adressés, nous nous m'interrogeons sur la question de savoir s'il est possible de parler en Afrique de coups d'Etat pathologiques? En clair, est-il possible d'éradiquer cet état latent de récidivisme ? La question vénielle et rationnelle est de se demander pourquoi, les Etats occidentaux ne sont pas affectés par cette pathologie ? Est-ce à dire que les coups d’Etat sont spécifiquement consubstantiels aux régimes démocratiques africains, et ceux de l’Amérique du sud ?

Si on part de l'exemple de l'action politique de Bismarck et de la critique politique de la démocratie qui est incompatible avec l'Unité allemande, en tant que Nation, il est possible de répondre spontanément qu'il faut en Afrique, et au Niger en particulier une nouvelle culture démocratique, c'est-à-dire un modèle politique qui pourrait s'apparenter à un mixte de Bismarckisme et de démocratie [à distinguer de démocratisme qui nous semble péjoratif, ou relève de l'indémocratie], au nom de l'intérêt supérieur de l'Etat.

Dans une perspective militaire, la solution est au cœur même de la fonction militaire. Dans son excellent ouvrage, Le droit de la fonction militaire, Béatrice Thomas-Tual, fait remarquer le statut intrinsèque de la fonction de l'armée dans une République, et en quoi il est interdit au militaire de s'apolitiser. Tout en étant citoyen à part entière, le militaire est tenu à des droits et des obligations : « Les militaires se voient accorder des droits et des obligations. L'état militaire présente des particularités et cela a des répercussions sur les droits et obligations des militaires. » (Le droit de la fonction militaire, Paris, Ellipses, 2004, p. 50). Toutes ces restrictions, voire ces interdictions sont annexées à ses droits et libertés. C'est ainsi que par exemples, « les militaires en France n'ont pas la liberté syndicale, à la différence de pays comme l'Allemagne » ; « les militaires en France n'ont pas le droit de grève (article 11 du statut) » ; « la liberté d'association est limitée pour le militaire. Il ne peut pas adhérer à des associations à caractère politique (sauf en cas de candidature à une fonction élective publique) ou syndicale. » (Ibid., p. 52). Ces restrictions, qu'on pourrait pénalement appeler des privations de libertés sont nécessaires pour un bon exercice de la fonction militaire. Car lorsqu'on permet aux militaires de s'associer, c'est-à-dire d'être de tel ou tel bord politique, c'est l'indiscipline qui va s'instaurer, et des rébellions aux ordres hiérarchiques, et contre la République. On voit donc clairement le danger de la politisation des militaires. Tel est ce nous semble, le mal qui gangrène les régimes politiques en Afrique, car derrière beaucoup de militaires, derrière leurs uniformes et leurs grades se camoufle une appartenance, une obédience politique. En France par exemple, l'article 1 du statut général des militaires que nous retrouvons dans presque toutes les armées bien constituées, stipule que : « l'état militaire exige en toute circonstance discipline, loyalisme et esprit de sacrifice. Les devoirs qu'il comporte et les sujétions qu'il implique méritent le respect des citoyens et la considération de la nation. » (Ibid., p. 67). Le militaire est  par excellence le citoyen dans la République seul habilité à faire la guerre, donc à défendre ses concitoyens en cas de menace grave, et en particulier face aujourd'hui à la crise terroriste. De fait quand une armée est Républicaine comme celle du Niger [fort heureusement, à la différence de l'armée malienne de Sanogo], elle rassure les citoyens et les protège.

Or il se trouve que depuis quelques années, l'armée fait des incursions dans la sphère politique. Certains militaires sont « colorisés » politiquement jusqu'à la casquette, politisés pour tout dire. D'où notre hypothèse : le pouvoir militaire [le militarisme] ne serait-il pas aujourd'hui le surhomme de la grande politique de Nietzsche ?

Il nous semble, à l'observation, et avec plus de recul et de façon stéréoscopique, que le militaire éduqué, civilisé, instruit aux valeurs des droits et libertés démocratiques, est plus patriote que le civil. La polémique entre Nietzsche et l'Etat militaire de Bismarck, permet de relativiser le scepticisme moderne sur l'incapacité des militaires à bien gouverner. C'est derechef Thomas Mann dans Considérations d'un apolitique qui tranche le débat : « Il est sans doute vrai que Bismarck a mis « l'Allemagne en selle », mais elle avait déjà un pied sur l'étrier, et Nietzsche, perdu dans ses rêves de culture musico-dionysiaques, ne semble pas s'en être aperçu » (Ibid., p. 205). Autrement dit, dit si nous poussant la pensée de Thomas Mann dans les ultimes retranchements, il peut ressortir l'évidence qu'un régime militaire vertueux peut  en effet rivaliser aujourd'hui avec un régime politique civil.

Au Niger, on a des jauges de gouvernance pour établir qui vaut mieux que l'autre. Parmi les militaires ayant exercé le pouvoir : nous avons Seyni Kountché, Ali Chaibou, Baré, Wanké, et le dernier en date : le général Salou Djibo. Quant aux présidents civils, (Diori Hamani, appartient à l'époque de l'indépendance, et Kountché ayant ouvert si on pût dire une ère autocratique) nous avons Mahamane Ousmane, et Tanja Mahamadou (militaire reconverti), et Mahamadou Issoufou (la renaissance). Il nous semble _ et nous le croyons fortement_ que le militaire républicain (vertueux) a plus « d'infatuation de soi nationale » que le civil.

Si nous considérons notre tableau des divers acteurs de la République du Niger, on constate aisément que les militaires ont plus séjourné au pouvoir que les civils. D'où on peut conclure avec évidence, qu'au regard de la poussée islamiste, en tant que nouvelle crise terroriste comme diraient les Gendarmes français, il va inexorablement et apodictiquement se poser de futurs choix politiques vers le retour à des pouvoirs militaro-démocratiques.

 Ne comprenons pas le mot militarisme, ou militaro-démocratie comme une régression, mais comme un ré-enfantement en soi et pour soi de la praxis démocratique. Car toutes les fois qu'un régime démocratique se transmute en ploutocratie ou en autocratie, il est automatiquement renversé par les militaires. En suivant Thomas Mann, on est tenté en effet d'avancer que la démocratie est devenue un marché noir, où le boursicotage, le gain, l'argent, les affaires sont devenues les valeurs suprêmes, reléguant de fait aux calendes grecques les questions prioritaires de l'Etat telles que sont la sécurité (asphaleia), la famine, le pouvoir d'achat, le chômage, etc. J'hésite avec peine à souscrire aux propos de Thomas Mann : « Débarrassons-nous de la démocratie ! », oups ! de la Renaissance. A la rigueur, avec le militarisme/ou militaro-démocratie, il est possible de spiritualiser, de socialiser le terme « démocratie » en disant simplement « populaire » qui aura la même valeur que « libre » dans une res publica.

Au total, nos Etats en Afrique ont fortement besoin d'une nouvelle culture de l'Etat. Mais pour ce faire, il nous faut juste de vrais politiques pour remettre nos Etats en selle, afin qu'il ne soit plus possible à l'Etat de s'effondrer (comme en Somalie, au Burundi, en Libye, Centrafrique), de tomber aux mains des djihadistes (au Mali) qui n'attendent que les failles des Etats constamment agités, ou en proie aux coups d'Etat pour instaurer l'islamocratie. Pour l'heure, seul considérons-nous, le militaro-démocrate peut obvier aujourd'hui les nouvelles menaces/crises. Thomas Mann pour sa part, va jusqu'à soutenir que la démocratie « peut se concilier avec un régime monarchique fort, mais celui-ci forme son correctif nécessaire » (Ibid., p. 224). Tel aussi pourrait être le souhait de Nietzsche, à savoir être capable en Afrique de : « pouvoir enfin inventer aussi du nouveau en politique » (Ibid., p. 236).

Dr. Youssouf Maïga Moussa

Criminophilosophe

Université Blaise Pascal (France)

Université d’Auvergne (France)

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Docteur Youssouf Maïga Moussa
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