Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Docteur Youssouf Maïga Moussa
16 août 2015

L'éducation du Prince

Fénelon (François de Salignac de la Mothe, 1651-1715), écrit : « Le roi n’est roi que pour avoir soin de son peuple, comme un berger de son troupeau » (Fénelon, Télémaque, t. XVIII)

Cette réflexion est partie d’un simple constat : Le cas Malgache. Hery Rajaonarimampianina est embourbé dans une crise politique sui generis, dont la causa sui (cause première) est son incompétence avérée. D’où la question qu’on ne pourrait éluder : et si Platon avait raison sur les pré requis de l’éducation de l’homme politique ?  N’importe quel quidam, ou énergumène doit-il gouverner les hommes? Pour résoudre cette difficulté, nous avons sollicité les lumières de Fénelon en particulier afin de poser un regard lucide sur la finalité de la politique. Autrement dit, ceux qui viennent au pouvoir se soucient-il vraiment du bonheur public ? Ne peut-on pas parler aujourd’hui d’un narcissisme politique ?

Quand on se destine à gouverner les hommes, il faudrait aussi en amont, comme une sorte de propédeutique politique disposer de la « science de gouverner », afin d’être capable à affronter les périls et les turbulences inhérentes à l’exercice du pouvoir. Il est dans nos habitudes de toujours rappeler à nos dirigeants et futurs dirigeants (les princes) que le pouvoir n’est pas une sinécure, a fortiori un lit de relaxation. L’exercice du pouvoir suppose, ou présuppose la maîtrise d’un certain Art/ou Technè (Technique). Les précepteurs des Princes leur enseignent les recettes pour bien diriger les hommes. D’où la connaissance indispensable de l’homme, c’est-à-dire de l’étude de l’homme que l’on doit gouverner. Aristote par exemple était le précepteur d’Alexandre le Grand, tout comme son maître Platon qui s’était proposé comme éducateur de Denis le Tyran ? Platon fantasmait sur les vertus de sa philosophie pour transformer une mauvaise nature (l’homme-Denis) en roi-philosophe. Mais il échoua, car Denis n’avait pas le naturel philosophe, c’est-à-dire les prédispositions pour être Roi-philosophe. Aristote quant à lui enseigna à Alexandre le Grand d’être dur, sévère contre les Barbares, mais dans les faits Alexandre le Grand fit le contraire : il ménagea beaucoup les Barbares, il poussa même la bonté d’unifier Grecs et Barbares via la langue grecque. Sénèque fut précepteur de Néron (qui fut le pire des tyrans de l’histoire romaine). La liste est longue.

On nous excusera de rentrer  témérairement dans l’œuvre de Fénelon à l’instar de Jules II dans Pérouse. Fénelon a essayé autant que faire se peut de guider, d’être le directeur de conscience de Louis XIV.  Il fut aussi le précepteur du petit fils de Louis XIV. L’entreprise de Fénelon est analogue est celle de Nicolas Machiavel qui dédia son ouvrage : Le Prince à Laurent de Médicis. De même il dédicaça les Discours sur la première décade de Tite-Live aux futurs princes Zanobi Buondelmonti et Casimo Rucellai. Selon Nicolas Machiavel un Prince qui suivrait stricto sensu ses préceptes (son enseignement) peut réaliser « l’impossible et l’inouï », c’est-à-dire aller au-delà de ce qui dépasse les capacités de l’homme ordinaire : il deviendra grâce à ses directives un « inhumain », le surhomme de Nietzsche pour dire simplement les choses. Ceci pour dire que les précepteurs à distance ou  physiquement étaient apparentés à des directeurs de conscience. On estime par ailleurs que leurs enseignements auraient la vertu, ou les vertus de transformer certains Princes en bons dirigeants, et d’autres malheureusement en authentiques tyrans. Machiavel certes propose des recettes drastiques, voire « cruelles » comme il le reconnaît lui-même, mais c’est à dessein de conserver l’Etat. C’est la raison pour laquelle il écrit : « Un Prince nouveau, dans une cité ou une province conquise, doit faire toute chose nouvelle », et en outre, et il ne doit pas lésiner sur les moyens, car les « procédés sont très cruels, et contraires non seulement au christianisme mais à l’humanité ».

Pour les moralistes du grand siècle (XVIIe-XVIIIe), l’étude de l’homme est capitale, à savoir la connaissance de l’histoire, connaissance des actions des grands hommes. Plutarque par exemple a produit d’excellents ouvrages sur la Vie des hommes illustres, de même que Cicéron dans la République pour ne citer que ceux-là. Le Bon Prince, doit bénéficier dans son cursus politique,  dans son éducation politique de cette connaissance de l’Histoire, afin de pouvoir méditer à sa façon leurs actions. De ce point de vue l’histoire constitue pédagogiquement un organon (instrument) efficient pour un futur dirigeant, plutôt que gouverner sans modèles, sans références, sans Lumières tels les personnages enchaînés de la caverne de Platon. Ainsi, avoir la « science de gouverner », prémunira le futur Prince de beaucoup de maladresses, il saura avec efficacité trouver à temps le bon choix, ou la bonne décision, plutôt que de s’encombrer d’une pléthore de conseillers improductifs. À la différence du nouveau Prince (dirigeant), le néophyte sans expérience politique, ni cursus politique au sens des Anciens Grecs et Romains qui végète dans « l’aveuglement funeste, dans les turbulences du pouvoir (cas du Président Malgache par exemple), le bon Prince navigue sans encombre, et tient ferme la barre du pouvoir. Ainsi qu’il apparaît, la connaissance de l’histoire sous l’égide d’un directeur de conscience, permettra au bon Prince une fois en activité de développer sa raison vigilante, d’imiter ou de fuir tel ou tel modèle d’hommes politiques, de Saints, de Héros, etc. En dernière instance, tout dépendra du bon usage que le futur Prince fera de sa raison.

Fénelon nous propose une kyrielle de Rois considérés tels des modèles, car dans la représentation collective des siècles passés, le Roi est le « père ». Le modèle du bon dirigeant doit être calqué (mimétisme) sur l’autorité paternelle. Dieu même n’est-il pas perçu comme le « Père » par excellence ? Henri IV par exemple était considéré comme le « père de toutes les familles », Louis II « père des peuples ». Mieux depuis Homère, en passant par Platon jusqu’à la Bible, la métaphore du « Berger » comme « pasteur du peuple » est matricielle dans leur conception de la gouvernance.

Partant de ces considérations, il sourd que le bon roi n’est pas une fiction de l’esprit, mais seulement que dans la réalité ils (les rois) sont rares. Etre roi ainsi que nous le savons depuis Homère (Agamemnon) et Platon (Les Lois), exige beaucoup de vertus, car dans le réel ils doivent ressembler au Dieu par leurs qualités. Pour toutes ces raisons, après leur mort les rois accèdent directement aux délices des Champs Elysées, et les mauvais dirigeants subiront les châtiments dans le Tartare, pour avoir « abusé de leur puissance » ou simplement, d’être coupables de n’avoir pas fait le bien pour lequel ils ont été choisis. Dans la Lettre à Louis IX, Fénelon lui reproche ceci : « Vous avez passé votre vie entière hors du chemin de la vérité et de la justice, et par conséquent hors de celui de l’Evangile ». Ainsi qu’il apparaît, Fénelon est partisan de la Monarchie de type divin dans les limites de la simple raison, au sens où le Roi doit se comporter vertueusement,  et non de manière absolutiste, ou despotique. Il critique en outre le Roi Louis IX dans son attitude excessive à se déifier : « Vous rapportez tout à vous, comme si vous étiez le Dieu sur terre et que tout le reste n’eût été créé que pour vous être sacrifié » (Ibid.). La critique de Fénelon à l’endroit du Roi va jusqu’à ses fréquentations. Il va l’exhorter à changer de tempérament, de se défaire de sa complaisance à l’égard de la « foule des courtisans qui sucent le royaume ». En bon pédagogue politique, Fénelon convie le Roi à privilégier la compagnie de bons conseillers plutôt que celle des flagorneurs. Les épicuriens faisaient de même vis-à-vis de leurs amis politiques romains.

A terme, notre conviction est que cet enseignement critique de Fénelon est cathartique, et cadre bien avec la gestion du pouvoir dans certains de nos Etats africains. Le Chef/ou Prince s’entoure généralement de conseillers (des amis, la famille) qui en réalité se transforment en courtisans, car chacun ne pense qu’à se satisfaire, à « sucer » comme dirait Fénelon le royaume/ ici la République. Au Niger par exemple, la pléthore de Conseillers qui entoure le Président Mahamadou Issoufou est constamment critiquée par l’opposition, la société civile et la presse privée qu’ils estiment improductifs, « budgétivores ». Pour Fénelon, le maître mot est le suivant : Les princes doivent prendre conscience de la « fin » (but) qu’ils doivent « se proposer en gouvernant les hommes », à savoir se soucier de leur Bonheur, les conduire à la vertu. Le nec le plus ultra de toute la philosophie politique de Fénelon, est une véritable apologie du bonheur politique, car le secret du bonheur d’un roi est d’avoir fait le bien du peuple. Il ne sert à rien pour un Prince de se bunkériser, car dit Fénelon : « la plus sûre garde [des rois] est l’amour des peuples ». Si par exemple le Roi Baléazar fut heureux (sans crainte) souligne Fénelon, c’est parce que « tout son peuple est heureux avec lui ». Ainsi compris Fénelon est contre la thèse de Machiavel qui privilégie la « crainte » (« plutôt être craint qu’aimé »). Fénelon vitupère toutes formes de violences contre les valeurs morales, et l’option systématique de la Force contre le peuple.

Dr. Youssouf Maïga Moussa

 

UFR Blaise Pascal (France)

Publicité
Publicité
Commentaires
Docteur Youssouf Maïga Moussa
Publicité
Archives
Publicité