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Docteur Youssouf Maïga Moussa
16 août 2015

Hery Rajaonarimampianina, Un Président incompétent ?

Le célèbre sophiste : Antiphon IVe siècle av. J.-C., est partisan de la thèse selon laquelle les lois de la république sont de pures conventions, donc naturellement sujettes au changement, à la variabilité. Le passage que nous vous proposons, nous édifiera sur l’actualité de la variabilité des lois, en l’occurrence du non respect des lois constitutionnelles. La crise politique à Madagascar entre le Président Hery. R, et les députés de la Majorité cadre bien avec la pensée d’Antiphon. Il nous a paru pertinent de revisiter utilement la pensée des anciens grecs pour soigner les pratiques politiques de nos dirigeants d’ici et d’ailleurs. Antiphon écrit : « La Justice consiste à ne transgresser aucune des règles légales admises par la cité dont on fait partie. Ainsi l’observation de la justice est tout à fait conforme à l’intérêt de l’individu, si c’est en présence de témoins qu’il respecte les lois ; mais s’il est seul et sans témoins, son intérêt est d’obéir à sa nature. ».  Le maitre mot est donc : « la transgression » flagrante des lois sans honte, et dans la plupart des cas sans châtiment. 

Que faut-il comprendre par le vote du parlement Malgache contre un Président de la République démocratiquement élu ? Est-il vrai que toutes les accusations sont fondées pour caractériser « l’incompétence d’un Président de la République » ?Hery Rajaonarimampianina peut-il tranquillement obtempérer ? Le Parlement malgache est-il juridiquement compétent pour voter une telle décision ?

 Le philosophe français, Blaise Pascal (1623-1662) enseignait ceci : « Plaisante justice qu’une rivière borne. Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà » (Pensées). Au Niger, même si comparaison n’est pas toujours raison, nous savons les procédures constitutionnelles par lesquelles le Président de la République peut être déchu de ses fonctions. Selon la Constitution de la 7ème République, la Haute Cour de Justice est compétente en cette matière. Les députés malgaches accusent leur Président de « haute trahison ». S’il était sous les lois nigériennes, il reviendrait à la Haute Cour de Justice de juger le Président Hery. R. Nous savons par ailleurs ce que regorge de délits graves cette notion de « haute trahison » à savoir qu’ « il y a haute trahison lorsque le Président de la République viole son serment, refuse d’obtempérer à un arrêt de la cour constitutionnelle, est reconnu auteur, coauteur ou complice de violations graves et caractérisées des droits humains, de cession frauduleuse d’une partie du territoire national, de compromission des intérêts nationaux en matière de gestion des ressources naturelles et du sous-sol et d’introduction de déchets toxiques sur le territoire nationale. ». (Art. 142). Rien que sur la base de cette accusation de « haute trahison », le Président de la République est déchu de ses fonctions, après constatation de la déchéance par la Cour Constitutionnelle.

Ainsi que nous le constatons, en règle normale tout dépend du régime constitutionnel en vigueur, qui donne ou non quitus aux députés la puissance de destituer un Président sans l’aval de la Cour Constitutionnelle. Mais pour ce faire, l’article 144 précise que : « la mise en accusation du Président est votée par scrutin public à la majorité des deux tiers (2/3) des députés composant l’Assemblée Nationale. ». Pour le cas de Madagascar les 2/3 des députés ont voté la destitution du Président Hery Rajaonarimampianina. En l’absence d’une Haute Cour de Justice pour valider cette destitution au motif central de « Haute trahison », il appartiendra de jure (de droit) à la Cour Constitutionnelle d’apprécier cette décision. Mais, il nous semble que même à Madagascar, il n’appartient pas aux députés de démettre de manière dictatoriale un Président démocratique élu sans l’avis de la Cour Constitutionnelle (en l’absence derechef d’une Haute Cour de Justice).

Le Président Hery Rajaonarimampianina de Madagascar vient de recevoir sa grande raclée politique. L’Assemblée Nationale Malgache (pouvoir législatif) a statué sur son cas en lui octroyant la mauvaise note académico-politique de 00/20 pour lui signifier avec fracas son incompétence caractérisée. Nous comprenons à distance sa contrition, car dans son for intérieur, il doit certainement se poser les mille questions du doute cartésien jusqu’à atteindre l’évidence intuitive du « je pense, donc je suis incompétent ». Il nous semble, qu’après cette déchéance politique, Hery Rajaonarimampianina apprendra désormais à catharsiser son âme ; à se dépouiller moralement de toutes les accusations afin de pouvoir vivre authentiquement, autrement il sera en proie à des cauchemars, à un traumatisme post Président qui est foncièrement morbide quand il n’est pas traité avec des méthodes psychologiques appropriées. A un niveau psychologique, l’introspection lui permettra de remonter aux causes de ses incompétences ; puis de reconnaître honnêtement avoir gravement péché ; et enfin parviendra-t-il de faire son mea culpa pour ne plus récidiver ce genre de faute politique.

Si cela est considéré, on peut avancer pour dire que l’exercice du pouvoir en Afrique ne doit pas être confondu à une sinécure. Les dirigeants doivent cesser de percevoir le pouvoir comme un lit de relaxation. Les grecs avaient raison de faire de la politique une activité hautement élevée : une science architectonique : « connaissance fondamentale ou plutôt directrice «  (Aristote, La Politique), c’est-à-dire une science royale qui nécessite des compétences avérées. Relativement au Président Hery Rajaonarimampianina, on ne peut pas raisonnablement dire qu’il est dépourvu de toutes compétences, mais qu’il a péché par manque de bonne praxis. Il nous semble qu’il n’a pas excellé dans la vertu aristotélicienne. En outre, il lui a manqué quelques recettes du Prince de Machiavel pour bien conserver le pouvoir. N’ayant pas la majorité à l’Assemblée, il va de soi que ses marges de manœuvres soient limitées. Aussi se permettait-il d’abuser, de violer par-ci par-là les lois. Bref, par son « agir imprudent », il s’est exposé aux griefs d’incompétence qui couronnent l’ensemble des accusations : violation de la constitution et haute trahison. Mais, il est utile de le savoir, le Président Malgache est dans une posture sui generis : il est sans député. C’est donc de guerre juste qu’il essaie vaille que vaille de s’arranger des alliances qui n’aboutissent pas comme il le voudrait. D’où la crise grave entre la majorité des députés en grande partie des « indépendants », qui par ailleurs sont très versatiles comme alliés ; et l’exécutif qui voudrait tout naturellement avoir les coudées franches pour bien gouverner avec la bénédiction du pouvoir judiciaire. La crise de confiance ayant atteint son point paroxystique, cette situation lui a valu cette destitution qui ne pouvait pas laisser la Cour Constitutionnelle indifférente. Elle a promis d’apporter son avis dans les meilleurs délais. La dernière information, c’est que le Président de l’Assemblée vient de donner son soutien aux députés frondeurs. Donc tout se corse pour le Président Hery. R.

Tout ceci pour dire que du point de vue d’une philosophie politique, c’est la problématique de la thèse de l’exigence de la compétence en matière de direction de l’Etat qui ressurgit. La compétence est liée à la connaissance que Platon place au cœur du pouvoir. Les députés malgaches accusent Hery. R « d’incompétence ». Or la notion de compétence est plurivoque. Si on s’inscrit dans la perspective de Platon, il fait bien voir que l’expertise politique est analogue à toute forme de compétence technique. Autrement dit, il est dans l’ordre de la nature que ceux qui possèdent la connaissance dirigent les affaires de l’Etat. Ainsi dans le réel, c’est-à-dire dans la praxis politique, le Président Malgache Hery. R dispose bien d’une certaine compétence car, dans la Lettre VII, Platon suggère la capacité pour le dirigeant la « connaissance des Formes [Intelligible] ». En d’autres termes, le dirigeant doit être capable de modifier la réalité politique. Le Président Hery. R veut à sa manière modifier l’Assemblée Nationale quitte à brandir la menace d’une dissolution de l’Assemblée.

Retenons pour plier cette réflexion que si Platon a renoncé aux affaires politiques, c’est parce qu’il est arrivé à la claire évidence aussitôt après la mort de son maître Socrate, que seule la philosophie nous permet de connaître le bien et le mal, et par conséquent nous rend compétent pour bien gouverner dans le sens de ce qui est bien et utile pour la cité, et son bonheur. Aussi Platon écrit: « Le genre humain ne mettra pas fin à ses maux avant que la race de ceux qui, dans la rectitude et la vérité, s’adonnent à la philosophie, n’ait accédé à l’autorité politique. » (Platon, Lettre VII, 326 a-c).

Dr. Youssouf Maïga Moussa

Philosophe (UFR Blaise Pascal, France)

 

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Docteur Youssouf Maïga Moussa
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